« Tirer avec une arme»   par Christian Raynaud 

JOURNAL

 

 

 

« La mode n’est pas au raisonnement, encore moins à la nuance. Seule passe la mesure concrète, simple, immédiatement compréhensible. L’intelligence et la tolérance n’y trouvent pas toujours leur compte » (Nicolas Sarkozy, Libre)

Le sport

            Je ne suis pas un amateur d’armes mais un passionné de TIR.

Le tir est un sport, un sport essentiellement psychomoteur. Si la gestique est relativement simple et conduit au lâcher d’un coup par la coordination de micromouvements, elle doit être parfaitement maîtrisée par le mental. Un sport cérébral en quelque sorte ! Un ami, olympien comme moi, disait : « le tir, c’est l’expression dans l’immobilité ». Ce n’est assurément pas la formule des braqueurs de banques.

Mais le corps doit répondre sans subir les aléas de la motricité induits par la vie quotidienne. Le TIR suppose donc une parfaite condition physique (le cœur, la respiration, l’hygiène de vie, la souplesse, la dynamique mesurée) et mentale (résistance au stress, confiance en soi, capacité de concentration), en un mot la SAGESSE.

Avez-vous lu « le Zen dans le tir à l’arc » ?

Un tireur, une tireuse de compétition pratique au quotidien les exercices propres à améliorer ces deux composantes de la santé, s’entraîne spécifiquement au tir avec une juste évaluation de ses moyens et, enfin, mesure les progrès permis par son travail dans la compétition. Les écarts d’impacts en cible sont une sanction impitoyable du moindre relâchement. Un carton vaut bien un check-up.

Ajoutons que, au contraire de la gymnastique ou du cyclisme, on trouve les participants les plus âgés aux jeux olympiques dans les disciplines de tir. Ce sport est un excellent remède contre la tentation du laisser-aller et du chant du trio de sirènes “ télé-bières-pantoufles “ alors que les années passent.

Les vertus éducatives du tir sont superbement ignorées chez nous mais magnifiées au pays de Guillaume Tell. Tiens, au fait, la Suisse se
porte bien !

D’un autre côté, sous les régimes de type socialiste (suivez mon regard vers l’Est), les armes étaient interdites aux particuliers mais les
stands étaient nombreux et la détection des jeunes avec un potentiel de bons tireurs très efficace. L’arme ne leur appartenait pas et ils
tiraient quand même beaucoup… et gagnaient les championnats internationaux. Nous aimons dire vivre en démocratie, ce régime serait
donc encore plus restrictif que le totalitarisme. La démagogie en serait-elle la perversion ?

Les vertus éducatives du tir sont superbement ignorées chez nous mais magnifiées au pays de Guillaume Tell. Tiens, au fait, la Suisse se
porte bien !


Les armes

            Quand le singe a compris qu’il pouvait mieux trucider son ennemi en le frappant avec un fémur (merci maître Kubrick), il a inventé l’ARME.

Depuis, il y a eu l’arc et l’épée suivis de “ progrès “ incessants vers plus d’efficacité guerrière. On admet généralement que les armées tuent légitimement pour défendre leur territoire, la question est de savoir de quel côté on se place. La police s’entraîne aussi au tir, comme bien d’autres…

En fait, tout notre problème vient du fait que le tir permet de mesurer son ADRESSE. Cette adresse, comme d’autres capacités humaines, est le résultat de bien des paramètres signes de santé. Mais zut, pour tirer il faut des “ armes “… et c’est là que le bât blesse. L’amalgame est systématique et désobligeant. Je pardonne au quidam qui me dit : « Ah, vous tirez bien ? Alors vous êtes dangereux ! ». Je trouve cela ridicule quand ce sont des journalistes et stupide venant de dirigeants politiques. Le manque d’information avant l’émission d’un avis, pire d’un jugement, est une ânerie.

A-t-on jamais jugé nos Justine et Kim nationales « dangereuses » alors qu’elles envoient des balles à 200 km/h ? Et un golfeur qui peut facilement fracasser un crâne d’une volée de club ?

Eh bien, je vais vous informer car vous devez savoir ce qu’est une arme de match. Mieux que cela, ce que sont les MUNITIONS de tir sportif. Ce qui peut constituer un danger, ce n’est pas l’arme (pistolet, revolver, carabine) mais la balle qu’elle projette. Je ne vais pas ici m’étendre en une longue et fastidieuse étude technique mais, pour l’instant, me restreindre aux disciplines olympiques.

La munition la plus puissante employée lors des J.O. est de calibre .22 Long Rifle. La balle pèse 2,6 grammes et part vers la cible à 270 m/sec, son énergie cinétique est de 95 Joules et sa « capacité d’arrêt », comme disent les militaires, de 2.3 SP. A la chasse au sanglier, au cerf ou au chamois, la balle pèse 10.3 gr. et part vers la cible à 400 m/sec, son énergie cinétique est de 828 J et sa force de 44.4 SP. Il n’y a pas photo, et la seule réforme législative à faire était d’imposer EGALEMENT une autorisation préalable à l’achat d’une arme de grande chasse ou de type historique   - mais redoutable - comme la fameuse Winchester 30/30 (Rendue célèbre chez nous par le cinéma, cette arme chassait les bisons et tuait les indiens).
Il est donc normal que des armes de ce calibre soient soumises à une autorisation du même niveau qu'un pistolet de match olympique! Point final.

 

            Ceci dit, il y a également des « amateurs d’armes ». S’ils ne sont pas forcément très doués pour le tir, ils se contentent d’en faire un loisir et en ont parfaitement le droit. Je connais des gens honnêtes et sympathiques qui se pâment devant la prouesse technologique ou la beauté artisanale d’une arme de qualité, d’autres ont hérité d’une arme de grande valeur (monétaire ou/et sentimentale) et d’autres encore, souvent férus et grands connaisseurs, les collectionnent comme des timbres, des autos ou des papillons. Je précise encore que, moi,  je préfère la performance à l’instrument qui permet de pratiquer, bien que je me doive de bien le connaître afin de l’utiliser au mieux ; je n’irai pas le jeter à terre par dépit et mépris comme on le ferait d’une raquette ! Toutefois, je respecte d’autres sentiments.

Nos pays civilisés vont-ils retourner vers l’intégrisme de la pensée unique ?

Faut-il insister encore sur l’évidence que «les armes pour armer les gens» ne s’achètent guère en magasin mais font l’objet d’un trafic très important depuis les régions en guerre ou sillonnées par des milices de tous bords ? Suivez mon regard vers les transports de fonds attaqués aux armes lourdes…

La Loi, la politique…

            En conséquence, personne ne contestera la suppression du formulaire modèle 9 (simple déclaration d’identité) et son remplacement par une autorisation unique modèle 4 délivrée par la police après enquête (jadis réservée pour les armes de défense, catégorie de nos pistolets de tir).

Pourquoi alors faire plus ?

Les lois sont souvent le fruit d’opportunités démagogiques nées de mouvements populaires.

L’indignation devant les crimes odieux d’un pédophile assassin a conduit à la réforme des polices et le délire raciste d’un meurtrier nous amène une nouvelle loi sur les armes. On remarquera que c’est toujours dans la précipitation, dans l’improvisation et aux limites du respect des règles de notre démocratie parlementaire (la sagesse du Sénat n’a pu s’exprimer). Mais les professionnels de la Politique ne sauraient manquer un train !

Or, il ne faut pas confondre consensus émotionnel (même parfaitement justifié) et plébiscite. L’éthique d’un élu doit lui imposer la réflexion avant d’agir n’importe comment car les conséquences d’actes inconsidérés pourraient être jugées fautives par l’Histoire. Le poujadisme, le populisme fondent l’hystérie collective.

S’il y a eu la marche blanche, le passé nous rappelle quelques brunes et noires…de plus triste mémoire.

Plutôt que de gouverner par une « politique de la rustine », à l’image de l’entretien de nos routes, le Pouvoir serait mieux inspiré en s’attelant à une tâche plus essentielle mais aussi gigantesque que compliquée : la pédagogie de la civilisation.

            Bref, comment comprendre et s’inscrire dans cette nouvelle mouture de la loi sur les armes ?

Rappelons que plusieurs bons systèmes sont déjà nés de la cogitation parlementaire en 1991, mais ils ne sont pas appliqués. Tout comme le Registre Central des Armes qui existe… mais ne fonctionne pas bien ! Elus, cessez vos effets de manches et exiger le bon fonctionnement de ce qui existe, suffisant mais nécessaire. Trop de lois tuent la Loi.

On nous dit que cette loi-express va s’affiner dans ses arrêtés d’application. Soit, qu’ils soient alors pertinents, intelligents, documentés. Il nous faut des règles plus précises, pourquoi pas ? Mais de nouveaux tarifs, absolument NON.

L’Or et l’argent

       Si la performance rapporte des médailles, parfois en Or, elle est le résultat d’une préparation qui coûte beaucoup d’argent :

- Nos instruments de sport, pistolets et carabines, coûtent cher et les munitions adéquates également : technologie sophistiquée, fabrication en
petites séries et marché « ciblé » ( !). C’est un des freins au recrutement de jeunes. A titre d’exemple, voici les dépenses MINIMALES d’un tireur
qui vise le haut niveau au Pistolet Vitesse (type mondial ou olympique) pendant 4 ans de préparation. Prix du pistolet : entre 1200 et 2000 € ;
coût des munitions à raison d’un minimum de 15000 cartouches/an et en admettant que l’on ne tire des munitions de qualité « match » que la
moitié du temps (ce qui n’est pas l’idéal et certainement pas le cas d’un champion olympique) : 5000 €. Une olympiade coûte donc environ
6500 €, montant que les aides éventuelles de l’ADEPS ou du COIB sont loin de couvrir pour l’athlète sélectionné et qui constituent un effort
considérable pour le tireur seulement en progression vers le haut niveau. A ce prix là, le TIR est un sport « mécanique » !

- Le temps passé à l’entraînement, aux épreuves de sélection, aux compétitions et, surtout, les frais de déplacement induits. Pour les tireurs,
pas de bus pour le transport collectif d’une équipe (voir les foot, basket ou autres).

- Les dépenses de kiné, préparation physique, sophrologie, diététique, ne sont pas légères. Elles ne le sont pas non plus pour d’autres sportifs
mais leur image, plus positive, permet des accords de soutien (lisez sponsoring en langage courant). Au contraire, la venue d’un tireur leur fait
ouvrir de grands yeux et fermer le tiroir-caisse !

- Alors que nos achats de matériels sont déjà soumis à la TVA (tout comme les clubs de golf, e.a.), il nous faut acquitter
des taxes spécifiques préalables à l’acquisition de nos « armes ».

- Si de nombreux sports procurent des opportunités rétribuées à leurs athlètes de tous niveaux, des primes de match aux reconversions
de fin de carrière, il n’en est rien pour le tir car son image publique est désastreuse. Les sponsors nous fuient et la presse tout autant.
Je suis allé aux J.O. en prenant congé : perte d’un mois de salaire et de pension future.
Il est vrai que les médias adulent d’abord les professionnels…

            Et la nouvelle loi veut renchérir sur nos dépenses : le montant est débattu pour le moment mais on va subir une taxe toutes les 5 années
afin de solliciter le renouvellement de l’autorisation de détention avec, et c’est le comble, un effet rétroactif sur les armes possédées depuis
longtemps. A titre d’exemple, j’ai acquis mon premier pistolet de « vitesse olympique » en 1973 ; depuis, il fut suivi de 5 autres car les
techniques de compétition avancent et il y a aussi usure par le nombre de tirs imposés par un entraînement assidu. Il me faudrait donc
maintenant solliciter et payer pour 6 nouvelles autorisations alors que les engins sont désuets pour la compétition mais  restent valables
pour l’entraînement!

 
L’esprit des Lois

            De plus et dans son impatience électoraliste, le législateur n’a pas bien mesuré l’effet pervers de cette mesure rétroactive qui sape
encore un peu plus la confiance du citoyen envers « la politique ». En 1991, afin de recenser les armes disséminées chez les particuliers
de manière anarchique (la fameuse « carabine 22 » était alors l’épouvantail), une loi exigeait leur enregistrement GRATUIT et sans
conséquences. Bien mal en a pris aux honnêtes gens car ils devront payer aujourd’hui tandis que les autres se félicitent d’avoir désobéi.
La chose est grave ! Certains ont-ils eu raison de croire en la « DLU Reynders » ? L’avenir seul dira si leur confiance n’a pas été abusée…
Un Monsieur (anonyme) m’a téléphoné pour me demander que faire de 3 armes de guerre gardées dans son grenier : un revolver anglais,
un fusil Mauser et un fusil Lebel qui fonctionnent. Lorsque j’ai évoqué le paiement de taxes, et probablement récurrentes, son bon sens l’a
incité « à ne rien dire » ! Bravo la loi.

            La « rage taxatoire » est un virus belge décidément increvable ; un armurier qui change de province doit s’acquitter d’une forte
somme avant même d’être certain de pouvoir exercer son métier, alors que toute la Wallonie est plus petite que certains départements français.
Si ce n’était si cher ce serait risible car un honnête commerçant du Brabant ne devient pas un voyou en déménageant à Arlon. Du point de
vue de l’armurier toujours, le plus souvent petit artisan qui a bien du mal à survivre dans le tissu économique, la nouvelle loi va l’obliger à payer
une taxe d’un montant important pour  « se mettre en règle » avec elle ! A quand une nouvelle loi sur la boulangerie pour contraindre les faiseurs
de pain à verser 500 € au trésor public afin de vivre encore quelques temps de leur labeur ? Stop aux décisions iniques !

En réalité, ces mesures ne sont instaurées que pour décourager les citoyens. Seulement, les riches s’en moquent comme de leur 25ème
amende de roulage.

Il nous reste à espérer que la clairvoyance, si pas le Saint-Esprit, vienne aider à une rédaction perspicace et juste des arrêtés d’application
de cette nouvelle loi pondue dans la précipitation.

            Le « statut du tireur sportif » pourrait définir assez exactement des exceptions à ces contraintes: la licence de tireur sportif
octroyée par la Fédération Royale n’est accordée, annuellement, que sur présentation d’un certificat de « bonne vie et mœurs » ainsi
que d’une attestation médicale. En complétant cette LICENCE d’un carnet de tir qui attesterait la fréquentation régulière des stands et
la pratique contrôlée de ce Sport, elle remplacerait avantageusement toutes les démarches administratives. De plus, la tâche des services
de Police et/ou de la responsabilité du Gouverneur de Province serait allégée d’autant. Trop simple ?

Pour conclure, espérons donc, afin que le sport TIR survive à tous ces aléas, que le bon sens et la raison l'emportent sur les tentations perverses de manipulation de l'opinion. Puisqu'il le faut, acceptons cette LOI nouvelle mais à la condition qu'elle soit accompagnée impérativement d'une "licence de tir" (délivrée par l' Union Royale des Sociétés de Tir de Belgique et reconnue par tous les ministères selon des conditions de pratique régulière et prouvée du sport TIR) qui délivrerait leurs détenteurs de cette obligation quinquennale de renouvellement. Espérons aussi que l'on saura entendre les motivations des autres amateurs d'armes (non sportifs mais collectionneurs à des titres divers ou propriétaires d'un patrimoine) afin de ne pas provoquer un effet plus pervers et contraire qu'efficace: inciter à la dissimulation!

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Christian Raynaud. Olympien (Pistolet de Vitesse), 2x Championnats du Monde, 4x  d’Europe,
de nombreuses compétitions internationales et plus de 35 titres de Champion de Belgique.
Détenteur d’une licence d’armurier de 1976 à 2006 et rédacteur spécialisé en armes et tir sportif
(« Les cahiers du pistolier et du carabinier », « Action gun’s », « Fire »), consultant auprès des
importateurs et fabricants d’armes de match (Unique, FAS, Steyr, Walther, Pardini).
Tireur d’élite militaire, vainqueur en équipe de la Coupe Leclerc 1967 (OTAN).

Photo: Village olympique, Moscou 1980. L'auteur de ces lignes est debout, reconnaissez-vous
les autres personnes? Réponse